Le philosophe grec Platon (428-348 av J.-C.) est identifiable dans cette toile, grâce à l'ouvrage que tient le vieillard entre ses mains; Le Livre des Idées vient rappeler la démarche fondamentale menée par le penseur dans sa définition des idées, essences de toutes choses, dont le monde sensible ne peut transmettre que l'image imparfaite. La toile devait appartenir à l'origine à une série d'effigies de philosophes peinte par Ribera, peut-être celle réunie autrefois dans le palais-monastère de l'Escorial, non loin de Madrid. De cet ensemble, signalé par Ponz (1947) dans les appartements royaux à la fin du XVIIIème siècle, proviendraient aussi le Démocrite conservé au musée du Prado, signé et daté de 1630 comme l'Esope (?) appartenant à la même collection. Les trois tableaux ont en commun, outre leurs proportions, une volonté de réalisme brutal, un ténébrisme appuyé et austère, en même temps qu'un troublant sentiment d'humanité. Le thème du philosophe - comme celui de l'apôtre - a été de très nombreuses fois abordé par Ribera. Dans ces oeuvres, l'artiste fait apparaître son modèle grandeur nature, arrêté à la taille, le visage le plus souvent tourné vers le spectateur, comme pour le prendre à témoin. L'homme est environné des attributs qui accompagnent sa recherche : ouvrages, rouleaux manuscrits, compas, mappemonde... Les visages ne trahissent aucun souci d'idéalisation; les traits sont creusés, marqués par l'âge, et révèlent, comme ici, la dignité impassible du savant, son inquiétude d'intellectuel en quête des vérités du monde et conscient de ses limites ou, à l'inverse, son bonheur, sa jovialité face aux beautés terrestres ou à la comédie de l'univers et à la réjouissante impuissance humaine... Les vêtements des personnages répondent de même à une volonté de vérisme misérable, car loin de parer ses effigies d'élégants habits, Ribera entend les produire dans des défroques, voire des guenilles douteuses, qui conviendraient mieux aux mendiants et aux gueux. Le sage se voit revêtu des dépouilles du fou miséreux, sans doute pour renforcer l'idée de la vanité des apparences et de la primauté de la pensée. Ce parti pris est renforcé par un fort clair-obscur qui fait émerger les figures d'atmosphères ténébreuses, accentuant la sobriété radicale de l'image. Un tel traitement est hérité de Caravage (vers 1571 - 1610), dont le travail sera poursuivi à Naples par d'autres artistes, tel Luca Giordano, auteur d'une effigie de Platon (Metz, musée d'Art et d'Histoire). Ribera, quant à lui, aurait interprété d'une façon très différente un autre 'portrait' de Platon, dans un tableau daté de 1637. On peut songer à la puissance de ces silhouettes lorsqu'elles étaient réunies au sein de véritables 'collèges' philosophiques. Autrefois dans la collection de Louis Viardot - époux de la fameuse cantatrice Pauline Viardot, soeur de la Malibran - ce tableau a été l'objet d'une savoureuse correspondance entre son propriétaire et Ivan Tourgueniev (1818-1883), utilement publiée par Michèle Beaulieu : - extrait d'une lettre de Tourgueniev à Pauline Viardot, du 27 octobre 1857 : ' A propos, j'ai trouvé l'original du Ribera de Viardot dans le palais Balbi '. - extrait de la réponse de Louis Viardot à Tourgueniev, du 21 novembre 1857 : ' A propos pourquoi dites-vous que vous avez vu à Gênes l'original de mon Ribera? Mon Ribera n'a point d'original car il est l'original lui-même et vous en êtes un autre d'avoir pu lui en trouver un '. - réponse de Tourgueniev, du 28 décembre 1857 : après s'être défendu d'avoir remis en cause le Ribera de Viardot, il indique qu'il a vu à Gênes le même sujet traité par le même peintre ' et mieux traité il me semble '. Notice de Matthieu Pinette